Point de vue

Ouvrons les emplois interdits de la fonction publique aux étrangers

Cinq millions d’emplois en France demeurent interdits aux personnes qui n’ont pas la nationalité d’un pays européen. Ces restrictions légales constituent des discriminations archaïques. Le point de vue de Noam Leandri, membre de l’Observatoire des inégalités, extrait d’une tribune parue dans le journal Libération.

Publié le 27 août 2024

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Emploi Origines Chômage

Cinq millions d’emplois, principalement dans la fonction publique, sont actuellement fermés aux étrangers hors Union européenne en France. Certes, ce chiffre tend à diminuer, principalement du fait de la fin du statut particulier des salariés d’anciennes entreprises publiques comme France Télécom ou GDF, mais un emploi sur six reste inaccessible à ces étrangers. C’est énorme. Le Rassemblement national promettait de « réserver un certain nombre d’emplois stratégiques dans les secteurs liés à la sécurité ou à la défense exclusivement à des citoyens français » au cours de la campagne des dernières élections législatives. Ne laissons pas l’extrême droite nous imposer ses catégories de pensées. Il faut au contraire supprimer la préférence nationale dans l’accès à l’emploi.

Dans le cas de la fonction publique, restreindre l’accès à ce statut aux seuls Français est motivé par des enjeux de souveraineté aujourd’hui très discutables. En quoi une infirmière ou un animateur périscolaire auraient-ils besoin d’être de nationalité française pour être titularisés et avoir ainsi un emploi stable ? L’hypocrisie est énorme car les étrangers peuvent dans de nombreux domaines exercer dans la fonction publique un emploi à durée déterminée (en tant que contractuel) sans bénéficier de l’avancement de carrière des fonctionnaires, des congés, etc. ni surtout de la sécurité de l’emploi.

Dans le privé, ce sont d’abord des conditions de diplômes français qui freinent l’accès à des emplois réglementés, comme celui d’avocat, de géomètre ou de médecin. On peut se bercer d’illusions et croire que les diplômes français surpassent ceux acquis à l’étranger, mais les classements internationaux montrent que c’est aujourd’hui loin d’être le cas. Disons les choses plus clairement. On peut vouloir éviter qu’un général de l’armée française soit russe, mais dans l’immense majorité des cas, interdire à une personne d’accéder à un emploi en raison de sa nationalité constitue une discrimination légale qui sert aujourd’hui à justifier la préférence nationale.

L’interdiction de cinq millions d’emplois ruine le processus d’intégration des étrangers en France. Il alimente le chômage des jeunes immigrés qui ne peuvent postuler qu’à un espace réduit de postes de travail sauf à attendre des années une naturalisation… elle-même semée d’embûches administratives. Il pousse au déclassement de diplômés de haut niveau qui, formés des années durant à l’étranger se retrouvent à exercer dans des métiers déqualifiés. Ce privilège national rend les vies plus difficiles et aboutit à ce qu’une partie des mieux formés partent s’établir dans un pays plus accueillant. En même temps, elle nourrit la rancœur de citoyens établis depuis de longue date mais qui demeurent « de seconde zone ».

Les deux arguments qui justifient d’écarter un étranger d’un emploi doivent être remis à leur juste place. Le premier est celui des emplois stratégiques qui touchent à l’indépendance nationale. On peut comprendre d’écarter par principe par exemple l’ensemble des postes de commandement de l’armée française, soit 31 000 emplois d’officiers, même si la condition de nationalité n’assure en rien fidélité à cette nation. Mais il ne s’agit là que d’un nombre minime de postes de travail : la nationalité peut difficilement être invoquée pour écarter un professeur des écoles ou une infirmière.

Le second porte sur la condition de diplôme. Qu’il s’agisse de soigner des patients ou de plaider par exemple, il est juste de se poser la question de la validité des titres obtenus hors de France. Il suffit alors d’établir des équivalences par le biais de commissions qui existent en réalité déjà dans de nombreux domaines. Une fois qu’on aura réservé aux nationaux les postes « souverains » et écarté quelques diplômes étrangers de niveau insuffisant, combien restera-t-il d’emplois réservés aux Français ? Une centaine de milliers ? En tout cas, cela n’aura rien à voir avec la situation actuelle.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, socle de notre Constitution, indique dans son article 6 que « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». À nos yeux, un étranger qui vit en France, qui y travaille et paie ses impôts doit être considéré comme un citoyen. En conséquence, il faut supprimer les conditions de nationalité, comme l’Europe l’a déjà imposé au nom de la libre circulation pour les citoyens européens.

Des dispositions d’un autre âge qui constituent une immense discrimination légale

Qu’attend-on pour agir ? Arrêtons de gouverner sous l’emprise de la peur de l’extrême droite. Plusieurs propositions de loi ont déjà porté cette idée, l’une d’elles a même été adoptée par le Sénat [1] en 2009 mais rejetée par l’Assemblée nationale l’année suivante. Le prochain gouvernement doit en finir avec des dispositions d’un autre âge qui constituent une immense discrimination légale, en commençant par ouvrir la fonction publique aux étrangers. Ce serait un grand pas en avant dans l’intégration d’une partie des étrangers qui vivent en France. Ce sont nos valeurs qui doivent guider nos politiques, non l’envie de flatter les mauvais penchants des électeurs en trouvant des boucs émissaires.

Noam Leandri, membre et ancien président de l’Observatoire des inégalités
Extrait de « L’injustice des emplois fermés aux étrangers, ça suffit ! », Libération, 24 juin 2024.

Photo / CC by Nappy studio


[1Voir sur le site du Sénat la proposition de loi « visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées ».

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Date de première rédaction le 27 août 2024.
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