Quand doit-on parler d’inégalité ou de différence ?

On peut parler d’inégalité « quand une personne ou un groupe détient des ressources, exerce des pratiques ou a accès à des biens et services socialement hiérarchisés » (voir notre définition). Pour cela, il faut pouvoir classer ce dont on parle. Cela suppose qu’il existe un haut et un bas, un plus et un moins. Si on ne peut pas hiérarchiser, il s’agit d’une différence, non d’une inégalité.

Prenons un exemple. Avoir un chien plutôt qu’un chat est une question goût personnel, on ne peut pas établir de classement entre ces deux animaux. Posséder l’un ou l’autre ne valorise pas spécialement. Il s’agit d’une différence, pas d’une inégalité. Il y a énormément de choses dans la vie que l’on ne peut pas classer : avoir une voiture verte ou rouge ; préférer la viande cuite au barbecue à celle qui est mijotée, les cheveux blonds ou bruns, etc. La vie en société ne se résume pas à des inégalités.

Classer n’a rien d’évident. Certains ont tendance à voir des inégalités partout. Est-il possible d’établir un classement entre jouer à la pétanque et faire de l’équitation, entre aller à un concert de rock ou à l’opéra ? La question de la hiérarchie des pratiques culturelles est un bon exemple, le sujet est sensible. En plus, les classements évoluent dans le temps : hier, le jazz était une musique populaire ; aujourd’hui, ce genre est devenu très élitiste. Posséder une télévision couleur était auparavant un signe distinctif. Aujourd’hui, les cadres en sont moins équipés que les ouvriers.

Il ne faut pas pousser ce raisonnement trop loin. Malgré tout, bien des choses se classent sans difficulté. « L’argent ne fait pas le bonheur », certes…, mais rares sont ceux qui peuvent prétendre que vivre avec 1 000 euros par mois pour une famille de quatre personnes est « mieux » que 3 000 euros. Qu’habiter à cinq dans 20 m² est plus confortable que dans 100 m², etc. Dans nos sociétés, avoir de l’argent améliore beaucoup la vie quotidienne. À trop relativiser, il y a un risque de minimiser les inégalités.

Il n’existe aucune règle pour savoir si on a affaire à une inégalité ou une différence. Ce sont des rapports sociaux – déterminés par le poids de chacun dans le débat public – qui vont trancher. D’un côté, ceux qui critiquent les inégalités vont vouloir « révéler » des inégalités : montrer qu’on essaye de nous faire passer pour une simple différence ce qui relève d’une inégalité. De l’autre, ceux qui profitent des inégalités auront tendance à les présenter comme des différences. Par exemple, on a longtemps expliqué que les femmes étaient naturellement destinées à ne pas travailler pour s’occuper de la maison et des enfants. Une simple différence donc, non une inégalité. Les luttes féministes ont montré en quoi le discours sur cette différence n’en était pas une et maintenait les femmes à la maison sous la dépendance des hommes.

Au bout du compte, si l’on s’intéresse aux inégalités, il est très intéressant de décrypter comment se construisent les hiérarchies et les classements dans le débat public. Comment certains poussent à établir des échelles et, inversement, d’autres à les masquer. Un débat essentiel.

Louis Maurin

Photo / Unsplash

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