Analyse

Riches, nous ? Jamais ! Que valent les objections au seuil de richesse ?

Coût du logement, patrimoine, âge... La publication d’un seuil de richesse entraîne un certain nombre de critiques plus ou moins justes. Les explications de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 5 juin 2024

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Revenus Riches

Nous qualifions de « riche » un Français dont le revenu dépasse 3 900 euros mensuels après impôts et prestations sociales ou 9 700 pour un couple avec deux enfants, le seuil de richesse défini par l’Observatoire des inégalités. Comme tout indicateur, il repose sur des hypothèses critiquables, mais tous les arguments ne se valent pas. Nous les passons ici en revue.

« Mon salaire est de 3 900 euros, je ne suis pas riche »

En fait, c’est peut-être que vous n’êtes pas situé au-dessus de notre seuil de richesse. D’abord parce que ce seuil comprend l’ensemble des revenus et non le seul salaire, et il est établi après impôt sur le revenu. De plus, il s’agit du niveau de vie pour une personne seule. Pour un couple sans enfant, le seuil grimpe à 5 800 euros, et pour une famille avec deux enfants de plus de quatorze ans à près de 10 000 euros. À ce niveau, il nous semble qu’une famille peut être qualifiée de riche.

« Votre seuil de richesse ne prend pas en compte le cout du logement »

Vivre avec 4 000 euros mensuels et payer un loyer de 2 000 ou de 1 000 euros, ce n’est pas la même chose. La critique qui consiste à avancer que le seuil de richesse ne prend pas en compte le cout du logement est donc juste, c’est sans doute aussi celle qui revient le plus souvent. Aucune des mesures des niveaux de vie ne considère ce critère, mais personne ne s’en inquiète quand il s’agit de déterminer le niveau de vie des personnes pauvres. Pour les riches, la question ne se pose pourtant pas dans les mêmes termes : ils ont les moyens de choisir leur lieu de vie. Pourquoi acceptent-ils de payer si cher leur logement alors que, parfois, il leur suffirait de faire quelques centaines de mètres pour payer bien moins cher ? C’est surtout cette question qui méritait d’être traitée.

Ce surcoût leur procure des avantages. Vivre au cœur de Paris dans un logement très cher, par exemple, permet d’accéder à une large offre de services, à un certain cadre de vie et à un entre-soi auxquels la majorité n’a pas accès. Si on prenait en compte le cout du logement, il faudrait mesurer aussi ce qu’apporte de vivre à un endroit donné. Dans le Rapport sur les riches en France, nous montrons que les riches vivent toujours dans un espace 50 % plus grand que le reste de la population, quel que soit le type de territoire.

« Le seuil de richesse ne prend pas en compte l’âge »

Gagner au moins 3 900 euros par mois à 50 ans, ce n’est pas la même chose qu’à 20 ans. La remarque sur l’âge est pertinente car les salaires tiennent compte de l’ancienneté et progressent pour la plupart jusqu’à la retraite. Nous savons que les riches sont beaucoup plus nombreux dans les tranches d’âges avancés que chez les jeunes. Chez les personnes plus âgées, être riche est moins distinctif – au sein du groupe d’âge dans lequel on vit – que chez les plus jeunes. Au-delà de ces constats, tous les indicateurs sociaux sont des moyennes qu’il faudrait décliner ensuite en sous-catégories d’âge, de sexe, ou encore de territoire. Oui, être riche ou pauvre, ce n’est pas pareil à 50 ans et à 20 ans, à Paris et à Limoges. Mais cela n’invalide pas la nécessité d’établir des seuils.

La critique sur l’âge est davantage justifiée en ce qui concerne la richesse en patrimoine. La fortune est un processus d’accumulation dans le temps. Raisonner tous âges confondus mélange des jeunes qui n’ont pas commencé à épargner et des personnes âgées dont certaines ont accumulé des biens tout au long de leur vie. Nous disposons du niveau du patrimoine médian par âge, et on sait que 70 % des personnes qui appartiennent aux 10 % les plus fortunés ont plus de 50 ans (selon l’Insee en 2018). Nous manquons de données sur le sujet, mais ce point mériterait clairement d’être amélioré.

« Ce n’est pas le revenu qui compte, c’est le patrimoine »

Vivre avec des revenus de 4 000 euros par mois et un million d’euros de patrimoine ne signifie pas la même chose que percevoir un tel revenu et avoir un million d’euros de dettes. C’est vrai. Cette critique est souvent émise par ceux dont les revenus dépassent le seuil de richesse en revenus mais qui disposent d’un faible patrimoine. Au nom de ce raisonnement, comment doit-on considérer une partie de la population riche en revenus, mais non en patrimoine ? Malgré tout, même sans patrimoine, peut-on avancer que l’on n’est pas riche quand on vit avec davantage que 93 % de la population ? Hauts revenus et patrimoine élevé vont ensemble dans l’immense majorité des cas : c’est le revenu qui, épargné, permet la constitution d’un patrimoine au fil du temps. Rares sont les riches en patrimoine aux faibles revenus et vice versa. Dans sa critique du seuil de richesse, l’économiste Guillaume Allègre propose de construire un outil qui combine revenu et patrimoine [1] , une initiative que l’on ne peut qu’encourager.

« Le seuil de richesse stigmatise les riches »

Publier des données sur les riches serait une manière de les désigner à la vindicte populaire. Quand on y réfléchit quelques instants, cet argument est assez étonnant. Contrairement à ce que l’on indique souvent, les Français sont très généralement indifférents aux riches : ils ne les aiment pas plus qu’ils ne les détestent. Surtout, si une personne riche s’estime stigmatisée, ne serait-ce pas, au moins pour partie, qu’elle ne se sent pas légitime à gagner ses importants revenus ? Sinon, en quoi le simple fait de qualifier une personne de riche serait-il stigmatisant ?

La question n’est pas d’être riche mais de savoir si l’on mérite ou non de l’être. Notre rapport ne fait que documenter la hiérarchie des revenus en France, en s’attachant ici au haut de l’échelle bien moins souvent décrit que le bas. L’argument de la stigmatisation est surtout une forme de pudeur destinée à rendre invisibles aux yeux des autres les avantages des plus aisés.

« Les vrais riches sont plus riches que vous ne le dites »

Le niveau de la richesse n’a pas de limite haute. Le seuil de richesse se situe à 3 900 euros par mois alors que certains gagnent des millions d’euros. La population riche est donc hétérogène, c’est très juste. Il est alors question de terminologie : comment appelle-t-on une personne plus riche que 93 % de la population ? La qualifier d’« aisée » ne serait-il pas un euphémisme ? C’est certain : on peut toujours trouver plus riche que soi.

Il existe bien des nuances de riches et il serait pertinent de fixer également un seuil de l’ultra-richesse. Concentrer tous les regards sur les ultra-riches permet de mettre en lumière les processus d’enrichissement délirants d’une poignée de milliardaires, mais a aussi pour effet de cacher les niveaux de vie d’une large fraction de la population située en haut de la hiérarchie sociale.

Conclusion : tout indicateur statistique a des limites et ne dit pas tout de la réalité sociale qu’il prétend décrire. Il faut utiliser le seuil de richesse pour ce qu’il dit, et pour rien d’autre, en ayant connaissance de ses limites. Ces dernières doivent-elles conduire à ne pas l’utiliser ? Sauf à entendre d’autres arguments que les objections que nous avons déjà recensées, nous ne le pensons pas. Ce qui est certain, c’est que les plus riches ont bien du mal avec le fait que l’on s’intéresse à eux.

Louis maurin

Photo / Kanhaiya Sharma


[1« Que les riches lèvent le doigt ! », Guillaume Allègre, OFCE Le Blog, 1er juillet 2022.

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Date de première rédaction le 5 juin 2024.
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